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Vaccination : peurs, rumeurs et obscurantisme

Publié en ligne le 8 décembre 2009 - Vaccination -

Les campagnes de vaccination constituent toujours une belle opportunité pour les marchands de peurs et les propagateurs de rumeurs. Internet est un des vecteurs privilégiés, mais des organisations et des journaux s’en font parfois l’écho ou le relais. Les dangers du vaccin « que l’on nous cache », l’origine d’un virus « sorti de laboratoires secrets », les remèdes miracles… voici un petit voyage dans ce qui est loin d’être marginal ou cantonné à des sites d’initiés.

Les « vaccins homéopathiques », une perte de chance

« Prendre des vitamines, de l’homéopathie … est-ce utile ? ». À cette question, le supplément du journal Le Monde du 5 novembre (100 questions sur la grippe A H1N1) répond de façon étrange et ambigüe : « pour de nombreux médecins, les compléments alimentaires n’ont pas d’intérêt, voire peuvent comporter des risques s’ils sont consommés en excès. Néanmoins, certains professionnels de santé considèrent que ces compléments peuvent aider en cas d’alimentation carencée et renforcer les défenses immunitaires ». La question évoque l’homéopathie, la réponse est une réponse de Normand sur les compléments alimentaires.

Impact de la vaccination en France

Un rapport de l’INSERM analyse l’impact de la vaccination sur la population française en comparant la mortalité (nombre de décès) et la morbidité (personnes atteintes de la maladie) avant 1950 et après 1990.

Source : http://ist.inserm.fr/basisrapports/vaccination.html. Groupe d’experts réunis par l’Inserm dans le cadre d’une procédure d’expertise collective sur les perspectives d’évolution en matière de vaccinations. Il s’appuie sur les données scientifiques en date du dernier semestre 1998. Environ 1200 articles ont constitué la base documentaire de cette expertise.

Pourtant, l’avis, non pas « de nombreux médecins », mais des agences de santé publique, est sans équivoque, et le journaliste du Monde aurait pu s’en faire l’écho. Ainsi, et déjà en 2006, le conseil supérieur d’hygiène publique de France mettait en garde contre les préparations homéopathiques ayant une indication dans la prévention des états grippaux, et parfois même présentées comme « vaccin homéopathique ». Il rappelait que « l’autorisation de mise sur le marché octroyée à ces médicaments homéopathiques ne nécessite pas l’existence de preuves scientifiquement établies, l’existence d’une tradition homéopathique étant suffisante » 1 et soulignait que « l’utilisation de ces médicaments homéopathiques à la place du vaccin anti-grippal constitue une perte de chance, notamment chez les personnes à risque de complications ». Le conseil émettait déjà le souhait que cet avis soit largement diffusé auprès des pharmaciens, et en particulier en période de vaccination antigrippale. Et pour cause : la promotion des thérapies « alternatives », homéopathie en tête, envahit Internet, mais aussi de nombreux magazines, surfant sur la vague de peur et d’inquiétudes que suscite la vaccination, et l’attrait du prétendu « naturel ».

Ainsi, la préparation Influenzinum des laboratoires Boiron se présente chaque année comme une dilution infinitésimale des souches du vaccin contre la grippe saisonnière. Un Influenzinum différent chaque année… Les recommandations sont variables selon les sources, en substitution ou en complément de la vaccination. Proposé à différentes dilutions, de 9CH à 30 CH, le produit homéopathique ne contient plus la moindre trace de la substance initiale. Autant boire de l’eau fraiche.

Curieusement, cette année, et à propos de la grippe H1N1, le site Internet des laboratoires Boiron se fait discret et se contente de renvoyer sur le site Internet de l’OMS. De nombreux internautes adeptes de l’homéopathie se demandent avec inquiétude quand la version H1N1 d’Influenzinum sera disponible. Qu’ils ne s’inquiètent pas, aux USA par exemple, où les préparations homéopathiques peuvent s’acheter sur Amazon, Influenzinum est à l’honneur 2. Sinon, Homéomunyl, en France, semble être le produit de substitution. Avec la même composition, c’est-à-dire rien d’autre que des excipients.

Les ligues anti-vaccinales : Pasteur est l’ennemi

La LNLV (Ligue nationale pour la liberté des vaccinations 3), créée en 1954, cherche à alerter le public sur les « graves dangers que font courir les vaccinations ». Les risques allégués sont inquiétants : « de maladies auto-immunes, du cancer, de la maladie d’Alzheimer et de la sclérose en plaques ». Quant aux bénéfices pour prévenir les risques dus aux maladies infectieuses, ils sont tout simplement niés. Une fois ce décor planté, les bases scientifiques de la vaccination sont contestées. Au nom de la neutralité philosophique de l’État, et à l’image des créationnistes qui contestent la théorie de l’évolution, la LNLV affirme que « le “pasteurisme” n’est qu’une théorie scientifique que le corps médical est loin de partager “universellement” et que, par conséquent, l’État ne devrait pas l’imposer ». En conséquence, la LNLV demande l’abrogation de tous les cadres réglementaires concernant la vaccination, et la liberté pour chacun de choisir d’être vacciné ou non, choix que les parents devraient pouvoir imposer à leurs enfants.

Au hit-parade des livres portant sur la vaccination, ceux des ligues anti-vaccinales font figure de best-seller

Les livres à succès inspirés de ces thèses envahissent les rayons des librairies : Vaccins, mensonges et propagande, Les vaccins sont des poisons, Les 10 plus gros mensonges sur... les vaccins, Vaccins : l’avis d’un avocat : On nous aurait menti ?, Vaccins, un génocide planétaire ? Qui aime bien, vaccine peu ! sont les titres qui apparaissent en premier sur le site Amazon.com dans la rubrique Vaccin. Des libellés au programme évocateur.

On nous cache les « vraies » méthodes de protection

Tout comme pour la peur des ondes électromagnétiques, la peur du virus A H1N1 (aux dangers bien établis en ce qui concerne ce dernier) est l’occasion d’un « développement commercial » sans limite : objets miracles, méthodes de protection « révolutionnaires ». Pour les virus de la grippe, A H1N1 ou saisonnière, on ne risque pas seulement de perdre de l’argent en s’en remettant aux marchands d’illusion… Impossible de tous les recenser ici. Prenons juste un exemple.

Sens Original est une boutique en ligne 4 « spécialisée dans la vente d’objets innovants dédiés au bien-être ». Parmi les différents accessoires proposés, on trouve des purificateurs d’air avec cette intéressante précision : « Face à la menace de la grippe A, une des mesures les plus efficaces dont parlent peu les autorités est de purifier l’air intérieur ». Que ce soit dans les transports, au bureau ou à la maison, « l’air qu’on y respire se renouvelle peu et les virus, notamment la grippe A y prospèrent ». Mais pas de panique, si nous baignons dans une atmosphère où toutes sortes de virus malfaisants prospèrent, il existe une solution : une gamme de purificateurs d’air conçue pour détruire les micro-organismes à haute température : « ces appareils révolutionnaires chauffent l’air à 200ºC et détruisent tous les microorganismes (sachant que les virus meurent à 60ºC et que 98 % des bactéries ne résistent pas à 180ºC) ». Il faut vite avertir « les autorités » qui, au lieu d’acheter des dizaines de millions de doses de vaccin pourrait mettre en œuvre ce procédé « révolutionnaire », dont on se demande toutefois comment il arriverait à renouveler et purifier à 200°C l’air dans les transports, la maison et les bureaux.

L’origine du virus

La théorie du complot ne pouvait pas ne pas propager les plus folles rumeurs sur l’origine du virus A H1N1. Ce virus n’a pu arriver là « par hasard ». Il est donc, au choix, une « construction » des laboratoires pharmaceutiques pour vendre leur vaccin ou leurs antiviraux, le produit d’une erreur de manipulation dans des centres militaires fabriquant des armes biologiques, ou encore un parefeu mis en place par « les politiques » pour éviter de parler de la crise économique. Tout ceci ne prêterait qu’à sourire si ces théories ne rencontraient un certain écho.

Ainsi, parmi bien d’autres, ACECOMED (Action pour une médecine écologique 5) est une association qui combat pour une « médecine écologique » et pour le « pluralisme thérapeutique ». Parmi les signataires de sa pétition pour la liberté thérapeutique, on trouve Gilles-Éric Séralini, président du conseil scientifique du CRIIGEN (association de lutte contre les OGM présidée par Corinne Lepage), Christian Vélot, membre du comité scientifique du CRIIGEN, Jean-Marie Pelt, ou encore David Servan-Schreiber, psychiatre, auteur du livre Guérir.

Sur le site d’ACECOMED, à propos de l’origine du virus A H1N1, Christian Portal, l’un des fondateurs de l’association, évoque différentes hypothèses possibles, dont « une affaire de bioterrorisme » ou encore « une manœuvre de certains laboratoires pharmaceutiques », s’étonnant ainsi « que la construction de l’usine de Sanofi-Aventis au Mexique soit annoncée peu de temps après le début de la pandémie » en concluant « c’est trop beau pour être honnête ! ». Le même Christian Portal, sur le même site, affirme d’ailleurs que « l’hypothèse VIH du SIDA est suspecte et que même l’origine infectieuse du SIDA doit être prise avec précaution », et recommande la plus grande réserve sur la « médecine chimique » et la vaccination.

Les mails sur Internet

D’innombrables messages se revendiquant de l’autorité d’un « professeur » ou d’un « médecin spécialiste » envahissent Internet, prétendant nous révéler le complot en train de s’ourdir. Qui n’a pas autour de lui un ami, un proche bien intentionné, s’étant fait le relais d’un de ces « lanceurs d’alertes » ? Parfois, c’est le carnet d’adresse tout entier qui est mis à contribution… « Aucune Personne ne devrait accepter le vaccin contre la grippe porcine… il s’agit d’un des vaccins les plus dangereux jamais conçus » nous annonce l’un, « refusez le vaccin contre la grippe porcine, sinon vous le paierez cher ! » nous recommande un autre. Suit alors une liste vraiment effrayante des dangers du vaccin, de la soupe mortelle préparée par les apprentis sorciers des grands laboratoires pharmaceutiques, avec la complicité intéressée des autorités sanitaires. L’outrance et l’excès devrait suffire à disqualifier ces messages. Mais en réalité, à force de questions, de doutes et d’affirmations, ils contribuent à jeter le trouble. C’est sans doute ce qui explique leur prolifération. Pourtant, un minimum de sens critique et un petit effort de recherche devraient suffire à comprendre ce que sont réellement ces prophètes de l’apocalypse.

Images chocs et théories du complot visant à délibérément empoisonner les populations fleurissent sur Internet

Russell Blaylock est l’un de ces auteurs largement relayés sur les messageries en France et ailleurs. Russell Blaylock est un activiste américain contre la vaccination, pas réellement connu pour son œuvre scientifique. Il n’a jamais publié le moindre article sur la vaccination dans une revue scientifique (une simple recherche sur PubMed qui recense 19 millions d’articles de revues médicales permet de s’en assurer). Il ne doit donc pas sa notoriété à ses connaissances sur le sujet. Sa seule publication recensée concerne des travaux sur les prétendus dangers de l’aspartame, travaux largement invalidés par la communauté scientifique. Mais cela ne l’empêche pas d’appeler à refuser la vaccination contre la grippe H1N1 en mettant en garde contre un remède pire que le mal, et de préconiser des traitements à base de vitamines.

Mais ce que les internautes français qui relaient le message ne savent en général pas, c’est que le Docteur Russell Blaylock, s’il n’a aucune compétence en vaccination, est surtout très connu outre-Atlantique pour ses prises de position sur des tas d’autres sujets. Pour lui, le système américain de santé est un système « collectiviste », le projet de réforme d’Obama serait un pas de plus de la part des « élites décidant qui doit vivre et qui doit mourir », le président étant comparé à des Hitler, Staline et Mao, mais en « plus subtils » 6, Bill Clinton aurait donné accès à la Maison Blanche au « syndicat du crime contre les familles », le problème de drogue aux USA serait une machination machiavélique de l’ancienne URSS contre les bases religieuses de la société américaine 7. Donc, aucune compétence en vaccination, mais un fort parti-pris idéologique, qui surprendrait bon nombre de ceux qui se font le relais de ses allégations.

La nature est-elle bonne ?...

Point commun à la plupart de ces thèses, la Nature serait bonne, et tout ce que produit l’homme serait suspect. Faut-il rappeler ce que disait déjà au XIXe siècle le philosophe et économiste John Stuart Mill : « En fait, ce qui saute aux yeux, c’est que la Nature accomplit chaque jour presque tous les actes pour lesquels les hommes sont emprisonnés ou pendus lorsqu’ils les commettent envers leurs congénères. Selon les lois humaines, le plus grand crime est de tuer. Or la Nature tue une fois chaque être, souvent après des tortures prolongées, pareilles à celles qu’infligent délibérément à leurs semblables les pires monstres dont l’histoire nous rapporte les méfaits […] » 8.

« Obéir à la nature » ne saurait constituer une éthique ou un fondement de la morale, expliquait John Stuart Mill : « Tout éloge de la civilisation, de l’art ou de l’invention revient à critiquer la Nature, à admettre qu’elle comporte des imperfections, et que la tâche et le mérite de l’homme sont de chercher en permanence à les corriger ou les atténuer » 9.

Le virus de la peur

Le 5 novembre dernier, la chaîne de télévision Radio-Canada a diffusé un reportage sur une grande réunion publique organisée les « croisés de l’anti-vaccination ». Objectif de la manifestation, qui a rassemblé un millier de participants payants : « mobiliser les consommateurs, producteurs et distributeurs de produits de santé naturels et d’aliments sains ou biologiques », ainsi que les « utilisateurs et praticiens de thérapies “alternatives et complémentaires” et exposer l’imposture de la pseudo-pandémie de “grippe porcine” créée artificiellement par des organisations militaires et pharmaceutiques qui contrôlent l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et dont la propagande démesurée vise à imposer la vaccination obligatoire dès l’automne ». Vaste programme...

Quelques puissants auraient en effet décidé de ramener la population mondiale à 500 millions de personnes afin de prendre le pouvoir. Le vaccin serait un des moyens mis en œuvre, des « camps de concentration » seraient prêts, des cercueils par centaines de milliers seraient en réserve. On évoque des avions répandant le virus sur les principales villes… La vaccination est expliquée en ces termes : « C’est comme si, pour immuniser ma fille contre le viol, je lui faisais subir un viol atténué ».

« C’est énorme, mais les gens achètent », commente le journaliste qui a réalisé l’enquête. Jacques Crévecoeur est l’un des intervenants vedettes. Il s’agit d’un des promoteurs de la biologie totale du Docteur Hammer, une pseudo-médecine qui prétend guérir toutes les maladies, les cancers et le SIDA en rejetant l’existence des maladies contagieuses (« tout est psychologique », donc pas besoin des vaccins) et en appelant à refuser les traitements anticancéreux, inefficaces (voir La biologie totale, SPS n° 274, octobre 2006).


Droit de réponse de « SENS ORIGINAL »

« L’article Vaccination : Peurs, rumeurs et obscurantisme publié dans le précédent numéro met en cause l’efficacité de l’un de nos produits et par là même le sérieux de notre société – allant jusqu’à nous qualifier, bien injustement, de « marchand d’illusions ». Comme votre journaliste le précise, Sens Original est une boutique en ligne spécialisée dans la vente d’objets innovants dédiés au bien-être. De ce fait, nous proposons- à nos clients une gamme de purificateurs d’air de la marque AirFree qui, comme l’explique le fabricant, « chauffent l’air à 200° C et détruisent tous les microorganismes ». Ce procédé fiable permet à l’air contaminé de pénétrer silencieusement par convection dans l’appareil où il sera stérilisé dans les canaux de céramique. Ainsi les micro-organismes, virus, spores, bactéries sont détruits (incinérés) à leur passage dans les canaux, quelle que soit leur nocivité et capacité de résistance. Les virus meurent à 60°C, les spores à 170°C et les bactéries à 180°C. En multipliant le nombre de ces appareils dans les espaces publics, la qualité de l’air s’améliore et le risque de contamination (virus ou autre) diminue. Le fabricant préconise l’usage de ces appareils dans les hôpitaux, cliniques, restaurants, pièces à vivre, écoles, librairies, musées... Il s’agit d’un excellent produit fabriqué en Europe et qui répond aux normes européennes de qualité et de sécurité. »

Benjamin Berzolla,
Gérant de la société Sens Original

Information rappelée par l’auteur de l’article

À propos de l’efficacité des systèmes d’épuration de l’air dans les bâtiments pour lutter contre les risques liés à la présence de virus Influenza pandémique, voici les précisions données par l’Agence de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (AFSSET) :
« Efficacité des systèmes d’épuration de l’air »
L’Afsset ne recommande pas particulièrement l’installation dans les bâtiments de systèmes autonomes de traitement de l’air, visant à diminuer ou inactiver les virus dans l’air (filtration par filtres biocides ou électrostatiques, ionisation, photocatalyse, rayonnement UV, plasma froid, etc.), dont l’efficacité épuratoire n’a pas été démontrée dans les bâtiments. »

Source : AFSSET.

J.-P. K.

1 Article R5121-29 4° du code de la santé publique : « Pour un médicament homéopathique soumis à autorisation de mise sur le marché, compte tenu de la spécificité de ce médicament, le demandeur est dispensé de produire tout ou partie des résultats des essais pharmacologiques, toxicologiques et cliniques lorsqu’il peut démontrer par référence détaillée à la littérature publiée et reconnue dans la tradition de la médecine homéopathique pratiquée en France que l’usage homéopathique du médicament ou des souches homéopathiques le composant est bien établi et présente toutes garanties d’innocuité ».

3 Toutes les citations de ce paragraphe sont issues de leur site.

4 Toutes les citations de ce paragraphe sont issues de leur site.

8 John Stuart Mill, La Nature, éditions La Découverte, page 68, probablement rédigé entre 1854 et 1858 et publié à titre posthume en 1874.

9 Ibid, page 62.