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Traiter l’eau peut être dangereux

Publié en ligne le 3 juin 2004 -
par Sophie Payeur - ASP - mars 2000

Contrairement à la croyance populaire, les résidus de chlore maintenus dans l’eau potable n’empêchent pas l’eau et le système de distribution d’être contaminés : des virus, des bactéries ou des parasites nuisibles à l’homme peuvent se retrouver dans l’eau du robinet, même à la suite d’un traitement complet qui répond tout à fait aux normes de qualité.
« Les résidus de chlore induisent des erreurs et procurent une fausse sensation de sécurité pour la santé », soutient Pierre Payment, de l’Institut Armand-Frappier. Le chercheur a publié récemment les résultats d’une étude sur le sujet dans le Canadian Journal of Microbiology.

Pour mesurer le potentiel réel de désinfection qu’ont les résidus de chlore, Pierre Payment a ajouté plusieurs micro-organismes responsables de maladies connues à des échantillons d’eau potable provenant de deux stations québécoises de traitement. Ses tests ont démontré le peu d’efficacité du chlore pour neutraliser ces micro-organismes. Un seul a été inactivé par le chlore et un autre a été très faiblement neutralisé. Tous les autres micro-organismes ont fait preuve d’une résistance presque sans faille, même après des heures de contact avec l’ennemi.

Les règlements sur la qualité de l’eau potable de certains pays, tels que le Canada et les États-Unis, exigent le maintien de faibles quantités de chlore dans l’eau sortie des usines de traitement. Le but de cette pratique est de prévenir le retour de micro-organismes néfastes.
Mais les résidus de chlore forment en réalité une barrière peu étanche. Et surtout, les indicateurs de qualité de l’eau ne fournissent pas d’indice sur ce que laisse passer le chlore. Les contrôles effectués sur les eaux des usines de traitement reposent en effet sur des critères de qualité généraux : ces indicateurs, comme le taux de coliformes, le pH et la turbidité, donnent une idée de la performance du traitement, mais ne permettent pas de détecter les micro-organismes tenaces et nuisibles à la santé qui auraient pu « survivre ».

En 1997, une équipe menée par Pierre Payment a réalisé une étude auprès de 1400 familles québécoises desservies par les usines de traitement des eaux. La recherche a établi que près de 50% des gastro-entérites recensées sont attribuables à l’eau du robinet, même si cette eau répond aux normes de qualité. Les enfants âgés de deux à cinq ans sont les plus affectés par cette situation. Ces données sont prises très au sérieux par les États-Unis, où l’Environmental Protection Agency (EPA) et l’American Water Works Association sont actuellement en discussion dans le but de modifier les normes de qualité pour l’eau du robinet.

Les micro-organismes pathogènes qui n’ont pas été détectés par les indicateurs de qualité actuellement en vigueur ou qui n’ont pas été inactivés par les résidus de chlore, peuvent engendrer, dans les cas les plus extrêmes, d’autres maladies telles que le diabète, la poliomyélite, la méningite ainsi que des maux respiratoires.

Il faut bien souligner, précise Pierre Payment, que les conséquences ne sont pas dramatiques : l’intrusion d’eau contaminée dans les systèmes de distribution est loin d’atteindre un niveau épidémique détectable. A tel point que les travaux de ce chercheur n’ont même pas pour but d’alarmer la population outre-mesure, mais de recueillir des données pouvant servir à accroître la qualité de l’eau potable, peut-être en développant de nouveaux outils de mesure.

Il y a cent ans, les coliformes constituaient des indicateurs utiles pour déterminer la qualité de l’eau. Aujourd’hui, la connaissance scientifique permet d’établir que les coliformes sont loin d’être des indicateurs totalement fiables. « Les critères actuels de qualité de l’eau ne sont pas assez efficaces. Il faut repenser nos normes, de sorte qu’elles ne laissent plus passer ce qui peut nuire à la santé des personnes », conclut Pierre Payment.


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