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Nostradamus l’avait prédit

Publié en ligne le 9 mai 2009
Nostradamus l’avait prédit

Jean-Charles de Fontbrune
Éd. du Rocher, 2009, 19 €

Abrégé dans SPS n° 286, juillet 2009 - Version intégrale ici

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C’est de ce titre que l’on peut qualifier le dernier ouvrage en date de Jean-Charles de Fontbrune. En effet, l’exégèse de l’astrologue provençal est de tradition familiale puisque le premier ouvrage de son père remonte aux années précédant le second conflit mondial 1, ce qui nous fait une longévité enviable de plus de sept décennies.

Mais le cru fontbrunien ne se bonifie pas avec les années. Au contraire, on a quelque peu l’impression d’une sérieuse baisse d’imagination de l’auteur au fil du temps et d’un essoufflement parallèle de l’audace de ses prévisions 2. Constatons même qu’il s’agit un peu, voire même franchement beaucoup, de la rumination de vieilles lunes ressassées à l’envi par un auteur enfermé dans ses obsessions fantasmatiques.

Sans caricaturer, en 240 pages, le propos essentiel de Jean-Charles de Fontbrune est de prétendre sans ciller que l’auteur des Centuries était atteint d’une clairvoyance affirmée parfaitement anti-islamiste, menace majeure contre notre bel-Occident-chrétien-garant-de-la-Civilisation-et-de-notre-regrettée-Monarchie-de-droit-divin, qui sera menée par les armées de l’Antéchrist venu d’Asie, enfin, si j’ai bien tout compris 3.

Citons simplement quelques exemples de l’exégèse débridée qui nous est proposée.

Il voit dans les vers de son « prophète » la dénonciation de la menace des sectes (p. 36), de la mode gothique (p. 39), des lieutenants de Ben Laden rien qu’au travers des simples mots « Arabe » (p. 119) - évidemment ! - ou « noirs » (p. 120), alors que les musulmans peuvent être « barbariques » (p. 132) ou « blancs » (p. 167). Ainsi au travers de cette savante analyse, « Vénus », ce sont les Etats-Unis (p. 122), « cité franche », c’est La Mecque (p. 138), etc. À ce compte-là, trouver des islamistes au coin de la moindre strophe, quand on ne veut qu’en voir, et faire Nostradamus (qui n’en attendait certainement pas tant de la postérité) complice de ses obsessions, rien là de véritablement insurmontable.

Ne nous appesantissons pas non plus sur les approximations de lecture de notre interprète : l’éclipse totale de Soleil du 11 août 1999 qui passe par Paris (p. 51), alors que la capitale était à l’écart de la bande de totalité 4 et n’a d’ailleurs même pas été plongée dans la pénombre à cette occasion ; le mois de Décembre d’un quatrain qu’il faut lire septembre (en lien avec l’explosion de l’usine d’AZF de Toulouse), parce que l’année, à l’époque, commençait en mars, alors que ce décalage de deux mois aurait dû faire interpréter ce terme comme le mois d’octobre… ; ou « Airain », ancien vocable désignant le bronze, qui désigne l’argent (p. 135). Citons encore la guerre engagée en Irak par les Etats-Unis soutenus par la Grande-Bretagne « au nom du Dieu des chrétiens contre le Dieu des musulmans » (p. 69). Ou le 11 septembre 2001, « ce grave événement [qui] touche toute la chrétienté » (p. 186). La géopolitique à la mode fontbrunienne ne s’embarrasse pas de subtilité…

Mais rien là de très neuf, disions-nous quelques lignes plus haut. Pour vous en convaincre, relisez donc la chronique de l’humoriste Didier Porte diffusée en 1995 dans l’émission Rien à cirer sur France Inter 5. D’une plume corrosive, il relevait déjà la tendance monomaniaque marquée de notre aimable (?) centurophile pour les hallucinations islamisantes.

Cependant l’auteur se rassure face à ces terribles augures en nous annonçant qu’un roi « chassera hors de France les étrangers islamiques et rendra à l’Église sa prééminence originelle » (p. 145). Nous voilà sauvés et rassérénés ! D’autant qu’après épidémies, catastrophes et guerres dévastatrices (dont la 3e mondiale - ne lésinons pas), l’humanité atteindra un nouvel âge d’or en 2026. A 74 ans, nous ne pouvons que souhaiter vivement à notre docteur ès Nostradamus de voir l’avènement de sa prédiction avant de fêter son centenaire…

Toutefois, le plus fort, à notre avis, reste quand même la brillante et irrécusable révélation que Nostradamus avait pressenti la théorie de la relativité générale avec quatre siècles d’avance (p. 183) ! Là, il ne reste qu’à nous incliner en silence…

De toute façon, les thèses de Jean-Charles de Fontbrune sont irréfutables comme il le démontre en annexe. Ainsi, il prétend avoir annoncé en 1986 la catastrophe de Tchernobyl au travers d’« un incendie qui toucherait un grand lieu », (p. 222), ce que nous pourrions imaginer lui concéder après plusieurs nuits blanches consécutives sans Lune, par temps de brouillard, et en ayant oublié nos lunettes, mais il affirme aussi que l’attentat contre le pape qu’il annonçait lors de la venue de ce dernier à Lyon la même année, a en fait été évité par les précautions prises contre cette menace, suite à l’avertissement qu’il avait lancé (p. 237) 6. Ses prévisions ne sont donc jamais que des potentialités qui peuvent se produire ou pas. Pile je gagne, face tu perds !

D’ailleurs, c’est lui qui détient la seule, unique et véritable interprétation de Nostradamus, et tous les autres « pseudo-exégètes » délirent (p. 63). Ce ne sont que « des gens intellectuellement et psychologiquement fragiles, des névrosés qui ont construit de véritables délires ou des mystificateurs, des imposteurs et des charlatans qui ne voient dans ses prophéties qu’une source de revenus » (p. 124). La poutre est toujours dans l’œil du voisin. Vous savourerez cependant ce résumé clairvoyant dans l’auto-analyse. Très modeste, il reconnaît humblement et sans rire qu’il est « à Nostradamus ce que Champollion est aux hiéroglyphes » 7. Il intitulait pourtant l’épilogue de Nostradamus historien et prophète (op. cit.), « De la modestie ! » (p. 543).

Quant au rationaliste étriqué et borné, il est bien en peine de démontrer que prophétiser est chose impossible : « si on lui demande de prouver rationnellement et scientifiquement cette assertion, il n’a aucun argument solide pour étayer son affirmation péremptoire » (p. 180). Notre sympathique exégète oublie malheureusement que la charge de la preuve incombe à celui qui affirme l’existence de quelque chose, et non l’inverse.

Pour finir, et sans rire, reconnaissons tout de même que Jean-Charles de Fontbrune avait réellement vu venir la crise économique et boursière, sauf qu’elle a pris un peu de retard, puisqu’il nous l’annonçait pour 1998-1999 8. Ah, ce filou de Nostradamus, il a tellement compliqué ses quatrains que même les exégètes les plus pointus y perdent leur latin... Ce point, Jean-Charles de Fontbrune, au contraire d’autres soi-disant visionnaires qui emploient à l’excès cette vieille ficelle inusable de la prédiction a posteriori, le reconnaît : « certaines parties de quatrains ne sont compréhensibles que lorsque les évènements annoncés ont un commencement de réalisation ». Nous nous en doutions un peu. Mais d’ici à ce que notre forcené de l’exégèse en arrive à reconnaître l’inanité de toute la prose dont il nous abreuve, il y aura encore beaucoup d’eau à couler dans les gaudres de Saint-Rémy de Provence.

1 Les prophéties de Maistre Michel Nostradamus expliquées et commentées, Sarlat, Michelet Editeur, 1938

2 L’essoufflement se traduit aussi dans l’épaisseur du volume. L’ouvrage dont il est question ici ne fait en effet que 250 pages, contre plus du double (554) pour le premier opus de l’auteur Nostradamus historien et prophète, éditions du Rocher, 1980.

3 Remarquons à sa décharge la constance de l’auteur qui ne fait que reprendre ce qu’il annonçait déjà à la fin du siècle passé dans Nostradamus, de 1999 à l’Age d’or, éditions du Rocher, 1999, et une idée qu’il évoquait dans Nostradamus historien et prophète (op. cit.), p. 526.

4 Bande de totalité : il s’agit de la trace de la projection de l’ombre lunaire sur la surface terrestre au cours d’une éclipse totale de soleil.

5 voir http://www.didierporte.eu/textes/rac-fontbrune.htm (disponible sur archive.org— 25 Oct. 2020)

6 Dans Nostradamus Historien et prophète (op. cit.), p. 369, il annonce un malheur à Lyon pour le pape à la date du 13 décembre (jour de la Sainte-Lucie) « à cause des soldats cachés dans les bois » (?), ce qui n’aurait pas été possible, puisqu’en 1986 le souverain pontife est venu en France du 4 au 7 octobre… Mais notre quatrinophile patenté ne semble plus avoir souvenir de cette précision calendaire.

7 France Dimanche n° 3258 du 6 au 12/02/2009 p. 16

8 Dans Nostradamus, de 1999 à l’Age d’or (op. cit.) p. 238


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