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Charles Berlitz

Publié en ligne le 6 novembre 2008 - Paranormal -
par Jean-Pierre Thomas et Igor Ziegler

Présenté comme archéologue diplômé de Yale et linguiste éminent (il parlerait trente langues dont onze couramment !), Charles Berlitz, petit-fils de Maximilien, fondateur de l’école de langues éponyme, est une sorte de stakhanoviste récidiviste du surnaturel. Armé de moyens quasi illimités, et d’une mauvaise foi digne du livre Guinness des records, il a produit quelques-uns des plus gros best-sellers du genre.

Même s’il n’est pas à l’origine de cette légende moderne, son plus célèbre ouvrage reste sans doute Le Triangle des Bermudes 1 paru en 1974, vendu à plus de cinq millions d’exemplaires et traduit en vingt langues. James Randi, et surtout Larry Kusche 2, ont largement dénoncé la malhonnêteté de Berlitz, pour qui l’objectivité de l’information doit relever de la psychopathie hystérique. Dans sa prétendue enquête sur le célèbre triangle, il n’a de cesse de déplacer, modifier, voire carrément inventer des événements dramatiques afin de crédibiliser sa théorie.

Après la popularisation de l’accident des Avenger disparus en décembre 1945, qui a servi à la fondation du mythe dans les années soixante 3, le grand public a déjà fortement accrédité l’idée de l’existence d’un phénomène mystérieux dans cette région du globe. Berlitz ne s’est pas gêné pour en remettre, en affirmant que « d’étranges propos » avaient été échangés entre les cinq appareils et le sol, faisant bien évidemment référence à des manifestations surnaturelles, tout ceci étant, sans que cela soit une surprise, le pur fruit de son imagination.

Comme le souligne Kusche, un grand nombre des accidents mentionnés par Berlitz ne constitue rien d’autre qu’une totale fabrication. On y parle de navires enregistrés nulle part, d’avions qui n’ont jamais volé, ni même existé, et d’équipages disparus corps et biens qui ont dû être amusés de découvrir qu’ils s’étaient évanouis dans le néant, alors qu’en excellente santé, ils lisaient Berlitz !

Combien de prétendues disparitions se sont-elles réellement produites dans le Triangle parmi toutes celles que rapporte Berlitz ? En fait, il rassemble à loisir des centaines d’accidents, dramatiques mais tout à fait explicables, qui se sont passés à des centaines, voire des milliers de kilomètres de là. Ce grand chercheur pousse le bouchon jusqu’à rapatrier vers son aire de jeu des naufrages qui se sont produits au large du Portugal, de l’Irlande, ou même dans le Pacifique !

Le cynisme de Berlitz se ressent par exemple dans la confusion qu’il essaie de faire naître quand il décrit l’accident du vol 401 de l’Eastern Airlines : « L’avion fut subitement désintégré… », écrit-il. On imagine immédiatement un appareil volant tranquillement, les passagers occupés calmement à dévorer les œuvres précédentes du maître, quand tout à coup, sans raison apparente, il se disloque brutalement, pour s’éparpiller en poussières au cœur de l’inconnu et du mystère ! La réalité, que Berlitz omet volontairement de mentionner, est moins lyrique, puisque c’est une erreur de l’équipage qui amènera l’avion à perdre de l’altitude, à s’écraser au sol et par conséquent… à se désintégrer.

En 1978, dans Without a trace 4, Berlitz voulut répondre aux dénégations de Kusche, ce à quoi ce dernier répliqua : « La crédibilité de Charles Berlitz est complètement nulle – s’il prétend qu’un bateau est rouge, il y a toutes les chances pour qu’il soit d’une autre couleur ! ».

Dans Flim-Flam ! 5, Randi en rajoute en regrettant qu’il n’y ait pas de loi protégeant les consommateurs des mensonges de ce genre d’usurpateurs. En allant plus loin, on pourrait se demander ce qu’auraient pensé les centaines de victimes de ces catastrophes, de l’utilisation commerciale que fait Berlitz de leurs disparitions. Il y a des moments où le mercantilisme mériterait des qualificatifs plus discourtois.

Sur sa lancée, Berlitz ne pouvait pas ne pas s’intéresser à cette chère vieille Atlantide. Son livre L’Atlantide retrouvée 6 (rien de moins !) fourmille littéralement de données se rapportant à l’histoire de la Terre et que l’éminent chercheur lie inévitablement à l’influence des Atlantes, qu’il voit d’ailleurs partout.

On y retrouve en vrac, Glozel et ses statuettes, le plongeur Jacques Mayol, les Basques (qui sont évidemment des descendants des Atlantes, du fait de leur goût pour les jeux de balle – eh oui !), les « routes Atlantes » de Bimini (en fait, des blocs sédimentaires relativement récents, découpés par le ressac en de jolies formes rectangulaires, mais parfaitement naturelles), ainsi qu’une inévitable pyramide sous-marine fantôme, pour la localisation de laquelle Kusche offrit dix mille dollars en 1978, évidemment refusés par Berlitz.

L’intérêt commercial que représente le fameux « crash de Roswell », véritable tarte à la crème de l’ufologie, n’a bien évidemment pas échappé à Berlitz, qui sort Le mystère de Roswell 7 en 1980. Cette affaire relate un prétendu accident d’OVNI (pour cause de pilotage en état d’ivresse ?) observé en juin 1947 au Nouveau-Mexique, et révélé quinze jours après les “ soucoupes volantes ” décrites par le fameux Kenneth Arnold, le 24 juin 1947. Cette histoire est régulièrement réchauffée par les auteurs de littérature ufologique qui se plaisent à affirmer que l’U.S. Air Force aurait, en cette occasion, fait disparaître une épave de vaisseau extra-terrestre ainsi que les corps de ses occupants ! Un des chefs d’œuvre du genre a paru en 1991 aux États-Unis sous le titre sans équivoque UFO crash at Roswell, ce qui en dit long sur les talents d’enquêteurs d’investigation de son auteur. En fait les investigations objectives qui ont été menées par des enquêteurs de l’U.S. Air Force, ont révélé qu’il ne s’agissait que de l’atterrissage accidentel d’un ballon-radar expérimental classé « secret défense », dix jours AVANT l’observation de K. Arnold. Ces données expliquent sans doute les atermoiements des militaires à révéler, à l’époque, et durant les décennies de Guerre Froide suivantes, ce dont il s’agissait réellement. Ces explications embarrassées, partielles et contradictoires, lâchées au compte-gouttes, ont certainement favorisé la naissance du mythe et de la théorie du complot. Le reste n’est qu’une montagne de divagations de soi-disant enquêteurs très imaginatifs ou peu scrupuleux.

D’ailleurs, en ce qui concerne les scrupules, ce n’est visiblement pas ce qui a étouffé Berlitz lors de la rédaction d’un de ses ouvrages suivants Événements inexpliqués et personnages étranges du monde 8, publié en 1991. Ce pavé de plus de cinq cents pages énumère quelques centaines de « mystères », tels que ces chutes spontanées de poissons décapités et congelés dans les rues d’une petite ville de Louisiane (tant que les poêles à frire ne suivent pas, on peut s’estimer tranquille !), alors que Vivagel ou Cap’taine Iglo n’avait annoncé aucune sorte d’opération promotionnelle dans la région. Au passage, Berlitz nous ressert l’Atlantide et Roswell, en précisant que le président Eisenhower alla lui-même voir les dépouilles des humanoïdes, mais sans se demander comment un secret d’une telle ampleur, qui aurait dû impliquer des centaines de militaires et de scientifiques, ait pu être si soigneusement gardé pendant d’aussi longues décennies jusqu’à nos jours. Évidemment, cet ouvrage est antérieur à ce que les émissions de haute vulgarisation de Jacques Pradel sur nos ondes hertziennes nationales ont pu nous apprendre et nous montrer sur la manière de disséquer un extra-terrestre, à six doigts et sans nombril, devant la caméra vagabonde d’un cinéaste amateur, peu impressionné par un événement d’une telle envergure, et sans qu’un seul service de contrôle et de surveillance de l’armée américaine ne se soit rendu compte de la disparition de quelques mètres de pellicule d’une si haute importance. L’U.S. Air Force n’était vraiment plus ce qu’elle avait été !

Toujours est-il que l’ouvrage de Berlitz laisse une certaine impression d’essoufflement. L’auteur – ou les auteurs – ne cherche plus à donner l’illusion que des investigations ont été menées. Il semble que l’on se contente simplement d’exploiter le filon en accumulant une succession d’affirmations non vérifiées, en une compilation hétéroclite réservée aux « accros » du surnaturel peu regardants.

Charles Berlitz est décédé en décembre 2003.

Bibliographie

Citons entre autres perles des délires berlitziens, tous plus époustouflants les uns que les autres :
Le mystère de l’Atlantide, coll. L’aventure Mystérieuse, J’ai Lu
Le mystère des mondes oubliés, dont l’édition originale est parue en 1972 aux États-Unis
Opération Philadelphie, avec William L. Moore, Éditions Maritimes et d’Outre-mer, 1980, édition française de The Philadelphia experiment – Project Invisibility, avec William L. Moore, Grosset & Dunlap, 1979, qui inspira un film de fiction américain dans les années 80
L’Arche de Noé retrouvée, Le Rocher
Le triangle du Dragon, Le Rocher, 1991
Personnages extraordinaires, Le Rocher
Les phénomènes étranges du Monde, Le Rocher, 1989
Et un autre ouvrage consacré au crash de Roswell, avec Stanton Friedman, en 1980.

Voir également, pour un œil plus critique :
Science et pseudo-sciences n° 185, mai 1990, p. 7 sur le phénomène Roswell.

1 Le triangle des Bermudes, Flammarion, 1975, édition française de The Bermuda Triangle, New York, Doubleday and Co, 1974.

2 Lawrence David Kusche, Le triangle des Bermudes, la solution du mystère, L’Étincelle, Montreal, 1976.

3 Voir notre article sur le sujet.

4 Without a trace, Doubleday and Co, New York, 1977, avec la collaboration de J. Manson Valentine, traduit sous le titre Le triangle des Bermudes – sans traces, Flammarion, 1978 (ISBN 2-08-064052-6).

5 James Randi, Flim-flam !, Prometheus Books, 1982, en particulier pp. 42 et 48.

6 L’Atlantide retrouvée. Le huitième continent, Le Rocher, 1984.

7 Le mystère de Roswell, avec William L. Moore, France-Empire, 1981, édition française de The Roswell Incident.

8 Événements inexpliqués et personnages étranges du monde, Le Rocher, 1990, pour l’édition française.